Sommet mondial sur la sécurité alimentaire
Session 2009-2010 15 DÉCEMBRE 2009 – Question de M. Marc Bolland à M. Rudy Demotte, ministre-président, relative au « sommet mondial sur la sécurité alimentaire »
Marc Bolland – À la mi-novembre, un sommet mondial sur la sécurité alimentaire s’est déroulé à Rome. Il n’a malheureusement pas bénéficié des mêmes faveurs médiatiques que le sommet de Copenhague. Pourtant, vu son importance et son urgence, le sujet l’aurait clairement mérité.
Trois chiffres repris dans les conclusions officielles de ce sommet doivent nous interpeller. Aujourd’hui, un milliard d’êtres humains ont faim et un enfant meurt de la faim toutes les six secondes. Pour nourrir la planète en 2050, la production alimentaire mondiale devra augmenter de 70 %.
La véritable urgence n’est pas climatique mais bien alimentaire et humanitaire. Or nous n’engagerons aucun processus crédible de développement durable si nous ne prenons pas ce problème à bras-le-corps.
Le sommet de Rome a abouti à une déclaration commune, qui semble remplie de bonnes intentions mais qui atteste néanmoins que la prise de conscience mondiale est loin de ce qu’elle devrait être. De plus, nous pouvons nous interroger sur le contenu de cette déclaration.
Deux points m’ont plus particulièrement frappé. Le premier est le consensus qui se dégage des conclusions du sommet sur le rôle du marché et du secteur privé. En lisant cela, je doute que toutes les leçons aient été tirées des graves problèmes de dysfonctionnement causés au niveau mondial sur certains marchés alimentaires par les spéculations des opérateurs privés, pénalisant les populations les plus exposées des pays en voie de développement tout particulièrement.
Le deuxième point est l’absence de référence au rôle des collectivités locales dans les conclusions du sommet, les États étant, dans le secteur public, considérés comme les seuls intervenants.
Par ailleurs, l’Organisation internationale de la Francophonie – l’OIF –, dont nous sommes membres, a adopté en marge du sommet de Rome une série de conclusions. Elles se situent d’ailleurs largement dans la foulée des conclusions du XII è sommet de la Francophonie de Québec.
En votre qualité de titulaire des relations internationales de la Région wallonne – elle-même compétente en matière agricole – et de la Communauté française, acteur plein et entier de l’OIF, je vous adresse les questions suivantes.
La Communauté française était-elle présente à Rome ? Qui l’a représentée ? Quelle a été la position de nos représentants ? La Communauté française a-t-elle aussi participé aux travaux de l’OIF ? Si oui, comment ? Quelle a été là aussi la position de nos représentants ?
Comment la Fédération Wallonie-Bruxelles va-t-elle s’engager dans ce combat mondial contre la faim ? Dans le cadre des plans d’urgence alimentaire, existe-t-il une procédure, un schéma ou un circuit ? Si oui, quel est-il et de quelle manière notre communauté s’y inscrit-elle ?
Je vous avais déjà interrogé sur un cas particulier de partenariat communal belgo-sénégalais. Vous m’aviez répondu qu’il arrivait que des communes soient aidées par WBI dans leurs projets de coopération. Dans ce soutien à l’action des collectivités locales, WBI intègre-t-il et intègrera-t-il davantage encore demain la problématique de la sécurité alimentaire ?
Enfin, la spéculation sur les marchés alimentaires internationaux est connue, comme ses conséquences désastreuses. Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de réfléchir à la mise en place d’une taxe de type Tobin contre la spéculation sur ces marchés ? Êtes-vous prêt à profiter de la présidence belge de l’Union européenne pour mettre cette proposition sur la table ?
Monsieur le ministre-président, je suis évidemment conscient que les moyens de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont modestes. Je n’en reste pas moins convaincu que notre Communauté se doit de faire tout ce qui est en son pouvoir, particulièrement au sein de l’espace international francophone, pour participer à cette mondialisation plus juste, plus humaine et plus durable que nous appelons de nos vœux et qui figure d’ailleurs dans la déclaration de politique générale. L’urgence de la lutte contre la faim mérite tout notre intérêt et doit retenir toute notre attention.
M. Rudy Demotte, ministre-président. – Il est toujours difficile de répondre à des questions aussi fondamentales en quelques mots. Comment aborder la faim ou la soif dans le monde dans un bref énoncé théorique? Vous me permettrez donc de pointer quelques considérations.
Vous le savez, je ne suis pas de ceux qui méconnaissent au marché un certain nombre de vertus, mais force est de reconnaître qu’il ne permet pas de garantir aux hommes et aux femmes de cette planète l’accès à des conditions de vie satisfaisantes, particulièrement à l’eau potable et à l’alimentation. Les pouvoirs publics ont donc l’obligation de prendre des mesures pour permettre aux habitants de cette terre de vivre dans la dignité et de corriger ce que la main invisible du marché n’a pas permis.
Notre planète dispose des ressources suffisantes pour assurer, sans difficulté, l’accès à l’eau pour dix milliards d’êtres humains. Reste tout le problème de l’adduction, du traitement qui n’ont pas fait l’objet d’une stratégie suffisamment concertée. L’écart est donc considérable entre le potentiel et la réalité. Ces réflexions valent tout autant pour l’alimentation.
Parlons à présent de nos travaux en relation avec l’OIF. Nous avons défendu des positions volontaristes comme celle d’augmenter l’aide publique ou de permettre aux pays du Sud de déployer des politiques de développement, comme l’agriculture vivrière, plutôt que de leur imposer des règles commerciales issues des cadres internationaux tels que l’OMC.
Nous voulons aussi interdire des spéculations sur la détention de stocks alimentaires ou sur le prix des aliments. Nous avons également plaidé pour des politiques intelligentes de diversification qui ne se substituent pas aux cultures vivrières – surtout dans les régions qui connaissent des carences alimentaires. Le but est d’éviter que la production de biocarburants se substitue à celle des denrées alimentaires essentielles dans ces pays.
Nous soutenons de telles stratégies. Nous finançons l’éducation et la formation, mais aussi la préservation de l’environnement, la santé, la sécurité alimentaire.
La Région wallonne est impliquée, concrètement, dans une série de projets de coopération dans les pays du Sud. Ils concernent la gestion de l’eau, comme au Burkina Faso. Je pense au bassin de Kou à Bobo-Dioulasso, au renforcement des capacités des cadres de l’aménagement du territoire et au développement de l’irrigation, appui au développement de l’agriculture irriguée qui sera initié de 2011 à 2013. Au Sénégal, nous soutenons un programme de sécurité alimentaire depuis une dizaine d’années – il est le fruit d’une collaboration entre le WBI et l’Apefe –, un pôle de technologie alimentaire, un important projet de riziculture à Saint-Louis qui sera mis en place en janvier 2010. À Goma, dans le cadre de la grande offensive agricole pour la nouvelle alimentation lancée par le président Wade, nous veillerons à ce que l’expérience au Burkina Faso permette une meilleure gestion de l’eau. Des formations en nutrition appliquée et en sécurité alimentaire sont dispensées au Maroc et en Algérie. D’autres projets sont lancés en Palestine, au Rwanda, au Vietnam.
Nous sommes donc présents partout où nous le pouvons, bien entendu dans la limite de nos moyens. Nous collaborons également avec nos universités et nos centres de recherches. En résumé, nous avons mobilisé tous nos acteurs, en Wallonie ou à Bruxelles, Régions et Communautés.
Nous devons toutefois faire preuve de modestie, compte tenu de nos faibles moyens. Mais nous gardons l’ambition d’agir par des politiques qui, nous l’espérons, feront progresser l’Humanité.
M. Marc Bolland – Compte tenu de la qualité de nos agences présentes sur place, je ne doutais pas des actions concrètes menées sur le terrain.
Je suis toutefois frappé par la différence de couverture médiatique entre le sommet de Copenhague et celui de Rome. La question essentielle est celle de la prise de conscience que nous devons agir. Tous les acteurs doivent se mobiliser.
Lors de la prochaine présidence belge de l’Union européenne, et compte tenu de notre adhésion à l’OIF, vous pourriez peut-être prendre l’initiative et exploiter ce sommet de Rome comme instrument de conscientisation.
M. Rudy Demotte, ministre-président. – Je suis irrité de la façon scandaleuse dont nous abordons la politique internationale, en la hiérarchisant sans tenir compte des interpénétrations. Aujourd’hui, nous mettons en avant et à juste titre les questions climatiques mais j’estime qu’elles doivent aussi être examinées en fonction des besoins de l’humanité, particulièrement sur le plan alimentaire.
Les dérèglements climatiques et l’évolution de notre planète ont un lien organique avec ce qui se passe sur le plan du climat. Nous sommes face à un problème éthique et je déplore l’absence de sens humain que nous lui donnons.
L’enjeu climatique est évidemment primordial mais il devrait se décliner tout de suite dans des actions qui ont trait à l’eau et à l’alimentation.