Langues endogènes
Question de M. Marc Bolland à M. Rudy Demotte, ministre-président, relative aux « langues endogènes »
Séance du 13 octobre 2009
M. Marc Bolland (PS).
Permettez-moi de me pencher quelques instants sur un sujet régional sans quitter la dimension internationale puisque je m’interroge sur le sort qui sera réservé à la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992.
En Communauté française, les langues régionales disposent d’un cadre juridique depuis le décret sur les langues régionales endogènes. De plus, il existe un conseil des langues régionales endogènes, qui formule une série d’avis et de propositions et qui participe à l’octroi de prix et d’encouragements à la culture et aux langues régionales.
Cependant, ce cadre juridique est incomplet puisque cette charte n’est ni signée ni ratifiée par la Belgique alors qu’elle a été signée par une trentaine de pays et ratifiée par une vingtaine et non des moindres.
Quel est l’intérêt de la problématique ? Si elle n’est pas sous les feux de l’actualité européenne, je voudrais insister sur ses aspects passés, présents et futurs. Pour beaucoup, les langues régionales font partie du patrimoine à préserver. Mais la problématique est aussi très présente par le regain d’intérêt pour la création culturelle et littéraire dans les langues régionales. On le voit par exemple dans l’activité de nombreuses troupes de théâtre. Elle est aussi future et c’est bien le but posé par la charte européenne qui a pour objectif d’assurer la diversité culturelle à partir de la diversité linguistique dans une Europe multiculturelle et non articulée autour d’une langue unique.
La position de la Communauté française à ce sujet est, me semble-t-il, assez cohérente depuis la reconnaissance des langues régionales par le décret de 1990. Mais l’adoption de la charte européenne serait bloquée par la Flandre.
En ce début de législature, je voudrais vous demander, monsieur le ministre-président, quelle est l’attitude de votre gouvernement par rapport à la ratification de cette charte. Comptez-vous interpeller nos partenaires au sein de l’État belge ou prendre d’autres initiatives à ce sujet ?
M. Rudy Demotte, ministre-président.
Votre question ne me surprend pas, je connais votre passion pour le théâtre dialectal et votre implication dans la vie associative culturelle. Je partage votre approche des langues régionales et je trouve, avec une certaine ironie, que ceux qui considèrent que les langues endogènes ou dialectales relèvent d’un débat obsolète, passent à côté de la réalité.
Nous ne sommes pas ici pour promouvoir le passé, mais davantage la diversité culturelle. Si j’observe la réalité, depuis les académiciens de la vénérable société de langue et de littérature wallonnes jusqu’aux écrivains et comédiens qui font vivre nos dialectes, il y a là un apport irréductible à la diversité culturelle ; une capacité de création liée à ces expressions, langues, dialectes, emprunts, et métissages.
Nous pouvons donc soutenir les initiatives de ceux qui font la culture diverse, métissée à partir des langues dialectales. C’est un souci d’ouverture de la Communauté française que de reconnaître les langues régionales de son territoire. Ce n’est pas autre chose qu’embrasser une réalité de manière intelligente, en reconnaissant d’ailleurs que nous avons, en Wallonie, des langues endogènes germaniques, par exemple, à l’Est de la Wallonie et évidemment, à Bruxelles. Il y a donc là une richesse dont nous ne devons pas nous départir.
Je laisse à plus experts que nous le débat sur les nuances linguistiques des reliquats de langues franciques, que ce soient le mosellan ou le ripuaire, dialecte allemand parlé dans l’est de la belle province de Liège. Les langues régionales méritent toute notre attention.
J’en viens au fait politique que vous soulevez.
Il n’y a pas d’ambiguïté ; je n’ironise pas sur la question et je lui reconnais son importance.
C’est même, selon moi, une des jauges de l’authenticité de notre recherche de la diversité culturelle.
Quand on parle de facteurs d’enrichissement culturel des sociétés, au même titre que dans la biodiversité, chaque fois que l’on perd une langue, une tradition, une coutume, c’est l’humanité tout entière qui s’appauvrit. C’est une des raisons pour lesquelles l’Unesco a reconnu un certain nombre de faits dans son patrimoine immatériel. La Communauté française a sa contribution à apporter dans ce domaine.
J’en reviens à l’approche commune de cette problématique par les entités fédérées belges à l’échelon européen. Chacun sait que la signature et la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pose problème.
Cette question est d’abord d’ordre culturel. La culture et l’approche communautaire ne sont pas étrangères. Il y a en effet en Belgique des approches communautaires de la culture différentes.
En Flandre, ce débat est ressenti de manière extrêmement sensible. Actuellement, la Flandre ne souhaite pas reconnaître les langues régionales. Il a même fallu combattre pour tenter d’utiliser un référentiel commun. Indépendamment des majorités ou de l’opposition, ce débat n’est pas aussi aisé au parlement flamand que dans notre communauté.
Voilà pourquoi cette signature pourrait ne pas aboutir étant donné les différences importantes qui se manifestent. Par ailleurs, le rapport de forces actuel est tel que nous avons peu de chances de modifier les positions. Mais, indépendamment des textes, tout dans notre attitude continuera à exprimer notre volonté d’être les promoteurs sincères de la diversité. Dès à présent, grâce à ce décret, nous disposons d’une base légale pour défendre et promouvoir cette dimension dans notre patrimoine et notre culture, dimension qui touche toutes les compétences de la Communauté française.
Je suis certain que mes collègues ministres mettront tout en oeuvre pour répondre à la même sensibilité philosophique.
Commission des Relations internationales et des Questions européennes, des Affaires générales et du Règlement, de l’Informatique, contrôle des communications des membres du Gouvernement et des dépenses électorales. (PCF)