Parlement de la Communauté françaisePCF - Questions orales

Ecole, science et créationnisme

Commission de l’Education du

PARLEMENT DE LA

COMMUNAUTÉ FRANÇAISE

Session 2009-2010

17 NOVEMBRE 2009

 

Question de M. Marc Bolland à Mme Marie-Dominique Simonet, ministre de l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale, relative à « l’école, à la science et au créationnisme »

 

M. Marc Bolland – La problématique du créationnisme est un sujet particulièrement sensible qui revient régulièrement dans l’actualité. En témoignent les propos récents d’une directrice d’école à Bruxelles qui affirmait dans un périodique d’information que « la théorie de l’évolution est présentée aux élèves comme une hypothèse parmi d’autres car elle n’est pas sûre à 100 % ». Il semblerait que la proportion d’élèves qui estiment la théorie de l’évolution contraire à leur religion ou croyance atteint des niveaux inquiétants. C’est particulièrement préoccupant, surtout en cette année 2009 où nous fêtons le bicentenaire de la naissance de Charles Darwin.

 

Nous serons sans doute tous d’accord pour refuser catégoriquement le soutien de ces thèses par les pouvoirs publics. Nous devons refuser tout relativisme absolu, dans lequel des théories scientifiques éprouvées se retrouveraient sur un pied d’égalité avec les interprétations obscurantistes et réactionnaires de certains textes religieux. La résolution 1 580 de l’avis du Conseil de l’Europe précise « une attitude du type « tout se vaut » peut sembler sympathique et tolérante mais est en réalité dangereuse ».

 

En votre qualité de ministre de l’Enseignement, vous êtes en première ligne pour réagir face à cette situation. Votre prédécesseur avait fait de l’enseignement des sciences l’une de ses priorités sur la base d’un constat simple : les enseignants des matières scientifiques ne sont en général pas assez formés et, surtout, ne disposent pas d’outils suffisants pour mener à bien l’enseignement de ces matières. C’est ainsi que douze enseignants avaient été détachés pour devenir des formateurs en sciences auprès de leurs pairs. Le créationnisme était déjà alors au centre des préoccupations puisqu’une étude et des outils pédagogiques avaient été sollicités auprès d’une équipe pluridisciplinaire de chercheurs universitaires.

 

L’enjeu fondamental est bien le suivant : maîtriser les bases mêmes de la démarche scientifique, ne pas sacraliser le savoir, ne pas l’enfermer derrière des absolus. Il faut offrir aux enseignants les moyens de répondre aux contradictions frontales comme aux interrogations légitimes.

 

Madame la ministre, vous êtes sensible à cette matière, je n’en doute pas. Dès lors, j’aimerais savoir si vous disposez de rapports de vos services d’inspection sur la propagation des idées créationnistes dans l’enseignement officiel et subventionné. Sinon, comptez-vous demander un état de la situation ? Réagissez-vous lorsque des responsables pédagogiques émettent des propos créationnistes ? Si oui, de quelle manière? Comment comptez-vous aborder ce problème au cours de cette législature ? Enfin, quelles mesures envisagez-vous pour continuer à soutenir l’enseignement des sciences ?

 

Mme Marie-Dominique Simonet, ministre de l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale. – Je vous remercie d’aborder cette question importante qui nous tient à cœur et qui avait déjà été soulevée sous la législature précédente. J’avais alors eu l’occasion d’y répondre en tant que ministre de l’Enseignement supérieur, comme s’en souviendront certains membres de cette commission. Le problème ne se limite pas au seul cadre de l’enseignement obligatoire, il touche aussi à la formation initiale des futurs enseignants. Pour éviter les difficultés futures, il faut s’assurer qu’ils soient formés correctement afin qu’ils dispensent à leur tour un enseignement adéquat.

 

En tant que ministre de la recherche, j’étais aussi particulièrement sensible à la promotion, à l’encouragement et au développement des sciences. Toute une série de mesures de soutien ont été prises dans cette optique, en synergie avec mes collègues chargés de l’enseignement obligatoire Christian Dupont et Marie Arena.

 

Les faits que vous énoncez ont fait l’objet d’une réponse écrite à la question de Mme Trotta sur les idées créationnistes véhiculées dans les écoles. Je me permets de vous y renvoyer. J’avais formulé clairement ma position face aux propos créationnistes et rappelé les actions entreprises par mes prédécesseurs. J’ajoutais que je soutenais les actions initiées sous la législature précédente. Me basant sur la résolution du Conseil de l’Europe sur la nécessité de défendre et de promouvoir le savoir scientifique, j’insistais sur la nécessité de renforcer l’enseignement des fondements de la science, de son histoire, de son épistémologie, de ses méthodes, parallèlement à l’enseignement des connaissances scientifiques objectives. Il faut enseigner ce qu’est l’esprit scientifique, ce qu’est la démarche du scientifique qui peut remettre en question des idées acquises, sans parfois les partager.

 

Il faut rendre la science plus compréhensible, plus attractive, plus proche des réalités du monde contemporain, il faut en donner le goût aux enfants et sensibiliser le citoyen à ses enjeux. Il faut s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme en tant que discipline scientifique au même titre que la théorie de l’évolution et, en général, à ce que des thèses créationnistes soient présentées dans une autre discipline que la religion. Il convient également de promouvoir l’enseignement de l’évolution en tant que théorie scientifique fondamentale dans les programmes généraux d’enseignement. Nous ne pouvons qu’être d’accord sur ces objectifs.

 

Je rappelais également les nombreuses initiatives menées par les responsables de l’enseignement dans ce domaine. Ainsi, l’Institut de la formation en cours de carrière a organisé en 2008 et en 2009, en collaboration avec les inspecteurs des cours de philosophie et de sciences et le centre Interface des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, une formation inter-réseaux. Les objectifs prioritaires du programme étaient « d’aménager un espace de rencontre des convictions à propos des représentations liées aux origines de l’homme et de l’univers, et de participer à la construction du dialogue inter-convictionnel, outil de lutte contre la propagation des idéologies fondamentalistes et scientistes ». Nous devons tous ensemble, dans le respect de nos convictions respectives, dénoncer les idéologies fondamentalistes et scientistes. Il s’agit de souligner la dimension historique des convictions religieuses, le rapport que les religions ont pu entretenir avec les sciences au cours de leur histoire, et de témoigner de la possibilité de concilier la foi et la raison, la religion et la science. Il s’agit également de développer des attitudes de distanciation critique par rapport à la littéralité des textes, et de fournir des outils pédagogiques diversifiés destinés à aborder la question dans chacun des cours ou dans un rassemblement de plusieurs cours, puisque la formation était notamment organisée avec des professeurs de philosophie et de sciences.

 

Probio, l’association des professeurs de biologie, soutenue par l’inspection des sciences, vient de publier aux éditions De Boeck un ouvrage intitulé Comprendre l’évolution 150 ans après Darwin. L’objectif de cet ouvrage est de donner aux enseignants de biologie des outils clairs et précis pour enseigner les concepts et mener des réflexions permettant d’établir une distinction entre le discours symbolique et la théorie scientifique. Il s’agit de soutenir l’action des enseignants afin que le professeur de biologie puisse démontrer que la théorie de l’évolution repose sur 150 ans d’observations et de recherches expérimentales. Il est exclu que le cours soit donné selon un mode dogmatique. Il convient que le professeur apporte suffisamment de documents et d’arguments, qu’il mette en évidence la démarche scientifique et qu’il place l’élève en position d’observateur et de chercheur.

 

J’ai également souligné l’engagement et la vigilance des services d’inspection dans le cadre de leurs recommandations aux enseignants.

 

Tout d’abord, en ce qui concerne les cours philosophiques, le message consiste à rappeler les exigences de rigueur intellectuelle, de nuance, d’ouverture et de tolérance avec lesquelles il convient d’aborder les différents discours philosophiques et religieux qui tentent de rendre compte du vivant et des origines de la vie, ainsi que la nécessité d’une approche analytique, comparative et critique.

 

Le rapport général 2007-2008 du service de l’inspection de l’enseignement secondaire attire ainsi l’attention sur le fait que cibler spécifiquement et constamment le créationnisme serait, je cite, « probablement contre-productif car il n’est qu’un aspect assez marginal d’un problème plus général, celui de la manière dont s’acquièrent les connaissances. À cet égard, dans toutes les disciplines qui visent à la compréhension du monde et du vivant – les cours d’éveil scientifique, de biologie, de chimie et de physique, d’histoire, de géographie, de sciences sociales, d’économie… – il conviendrait de mettre en valeur, chaque fois que c’est possible, la construction du savoir par l’usage de la raison, selon l’épistémologie propre à la discipline ».

 

Ce rapport ajoute « Pour résister à la montée des courants de l’extrémisme religieux et au retour des croyances irrationnelles voire magiques, il faut que les enfants prennent conscience que le savoir est le fruit d’une construction par la raison humaine, selon des méthodes qui permettent la vérification ou l’infirmation de conclusions. » Certes, d’une discipline à l’autre, les méthodes varient et les conclusions n’atteignent pas le même degré de certitude, mais toutes les disciplines ont la même ambition, celle d’une meilleure compréhension du monde. Les enfants doivent en prendre conscience, non par le discours, mais par l’activité concrète en classe. Le savoir doit se construire, il n’est pas le fait d’une autorité supérieure. Il est donc intéressant que les enfants vivent cette expérience eux-mêmes.

 

Les démarches concernant l’inspection des cours de sciences visent à contrôler des compétences transversales, comme suivre une démarche scientifique, bâtir un raisonnement logique et une argumentation rationnelle, d’une part, et, d’autre part, des compétences disciplinaires en biologie, telles que développer une argumentation comparée des théories de l’évolution, situer l’émergence d’une théorie dans son contexte historique, utiliser des documents comme arguments en faveur d’une théorie de l’évolution, retrouver les éléments d’une théorie de l’évolution en comparant des structures sur du matériel biologique ou sur des reproductions, interpréter une série d’éléments, y compris celui de la lignée humaine, reconstruire le passé à partir de données actuelles.

 

Vous constatez que les recommandations ne se limitent pas à attirer l’attention. Elles visent vraiment à faire vivre, de l’intérieur, cette démarche scientifique que l’on souhaite promouvoir au-delà du simple apprentissage des connaissances scientifiques actuelles.

 

Durant cette législature, je souhaiterais mettre en œuvre diverses mesures susceptibles d’améliorer l’enseignement de la théorie de l’évolution, en étudiant la possibilité d’instaurer une approche plus précoce de l’évolution dans le cursus scolaire, peut-être dès le primaire, avec des cours adaptés, des cours d’éveil scientifique et la création d’outils pédagogiques adaptés aux différents niveaux de la scolarité.

 

Après concertation avec tous les partenaires de l’école, ces projets devraient faire l’objet d’une circulaire établissant les recommandations et les mesures à prendre pour assurer le respect des croyances mais aussi la promotion des démarches et des théories scientifiques liées à l’évolution.

 

Les mesures envisagées pour soutenir l’enseignement des sciences sont contenues explicitement dans la déclaration de politique gouvernementale.

 

Cependant, l’augmentation du nombre de périodes allouées au cours de science dans l’enseignement secondaire, les activités de vulgarisation scientifique, comme les émissions de télévision soutenues par la Communauté française, les outils didactiques et les expositions génèrent une attention importante qui ne conduit malheureusement pas encore assez à un accroissement des vocations scientifiques.

 

Toutefois, ces initiatives doivent être poursuivies et complétées par de nouvelles pistes avec d’autres partenaires de l’enseignement fondamental et secondaire pour obtenir de meilleurs résultats. Nous devons viser au renforcement de la formation des instituteurs à l’apprentissage de la démarche scientifique, grâce à l’équipe de formateurs spécialement créée au sein de l’Institut de la formation en cours de carrière. Nous devons favoriser l’organisation de journées de sensibilisation et de pratique des sciences à l’intention des enseignants, la mise en place de bus scientifiques, l’extension du Printemps des Sciences, magnifique espace de rencontres, le développement de Technikits dans des centres de compétences ou l’encouragement d’autres expériences de même nature centrées sur les nouvelles technologies afin de sensibiliser les élèves du fondamental aux métiers et aux démarches techniques et scientifiques.

 

Je vise aussi la poursuite de la révision de la méthodologie des cours de sciences en y intégrant une réflexion sur la démarche scientifique, l’expérimentation, le sens et l’histoire des sciences. Je souhaite la poursuite de la révision de la formation en cours de carrière pour nos enseignants en sciences et pour les conseillers à l’orientation.

 

J’ai constaté récemment l’impossibilité d’organiser une épreuve externe dans les classes de 4è année de l’enseignement secondaire. À une question parlementaire, j’ai répondu que cette situation était due à la grande diversité des filières, aux grilles horaires et à la disparité des programmes d’études. Ce fait a été noté dans le rapport général 2008-2009 établi par le service de l’inspection de l’Enseignement secondaire.

 

Pour les cours de sciences au 2è et 3è degrés, l’Inspection a observé la grande hétérogénéité des programmes, non pas en termes de méthodes d’apprentissage mais en termes de contenu et noté qu’il est alors parfois difficile d’identifier des savoirs et des savoir-faire communs aux différentes filières et programmes de cours. Des initiatives seront mises en œuvre en interréseaux avec l’accord de l’ensemble des acteurs de l’enseignement pour résoudre cette difficulté du cursus de l’apprentissage des sciences.

 

Une meilleure formation de nos élèves en sciences dépend fortement des démarches de clarification et d’harmonisation qui seront préconisées. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui devra être mené en interréseaux, avec la mise en place de cours de philosophie et de sciences et l’aide de partenaires extérieurs, afin de mieux développer la connaissance, l’expérimentation scientifique et le goût des sciences chez les jeunes.

 

M. Marc Bolland – Je remercie la ministre pour cette réponse complète et convaincante. Je note qu’elle entend s’opposer fermement à la diffusion des théories créationnistes dans l’enseignement et je partage bien sûr sa volonté de promouvoir le goût des sciences, l’épistémologie scientifique, etc.

Le sujet est sensible et il convient de bannir les stratégies contre-productives. Cependant, le fait que des enseignants, voire des responsables d’école, tiennent ouvertement des propos créationnistes alors qu’ils sont subventionnés par des fonds publics, est choquant. Il importe de réfléchir à la meilleure façon de signifier clairement aux jeunes que toutes les opinions ne se valent pas.

 

La stigmatisation des comportements serait, elle aussi, contre-productive, mais j’espère néanmoins que vous délivrerez quelques informations sur la propagation des idées créationnistes dans votre prochain rapport sur l’application des décrets de 1994 et de 2003 relatifs à la neutralité de l’enseignement.

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Un commentaire

  1. Curieusement, l’hypothèse du « créationnisme scientifique » n’est jamais évoquée. Selon celle-ci toute la vie sur terre aurait été créée scientifiquement par des hommes de l’espace, les « Elohim » de la bible. Ils auraient commencé par des formes de vie simple puis de plus en plus compliquées pour finir par créer les hommes « à leur image et leur ressemblance », comme il est dit dans la bible qui serait en fait le premier livre athée. L’évolution constatée correspondrait à l’évolution de leurs techniques de créations. Il y a 50 ans nous découvrions la composition de la molécule d’ADN, aujourd’hui Craig Venter et son équipe sont très près de décrypter le code génétique minimum nécessaire à une bactérie pour survivre. Code génétique qu’il sera par la suite possible de créer de manière 100% synthétique. De quoi notre génie génétique sera-t-il capable dans 50 ans, dans 100 ans etc… . http://fr.rael.org/rael_content/rael_summary.php

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