La sécurité de l’approvisionnement alimentaire
Session : 2009-2010
Année : 2010
Numéro : 226 (2009-2010) 1
de
BOLLAND Marc
à
LUTGEN Benoît, Ministre des Travaux publics, de l’Agriculture, de la Ruralité, de la Nature, de la Forêt et du Patrimoine
En ce qui concerne nos régions opulentes, sont-elles à la merci des effets des spéculations malsaines sur les marchés ?
Nous avons déjà assisté à certains ratés des circuits de distribution. Nos populations sont-elles à l’abri de situations plus critiques ?
Qui en Belgique est compétent pour anticiper un dysfonctionnement grave des marchés de production et de distribution afin d’éviter une situation de pénurie de tout ou partie des produits alimentaires ?
S’il s’agit de la Région, quels sont les dispositifs d’alerte en cours ? Quelles sont les procédures d’urgence existantes susceptibles d’être activées ?
S’il ne s’agit pas de la Région, comment Monsieur le Ministre y est-il associé ? Comment est-il informé ? Quelle est sa marge de man?uvre ?
Depuis sa réforme de 1992, et au fil des différentes réformes intervenues depuis, la PAC s’est tournée d’un soutien ciblé sur la production, via des prix garantis, vers un soutien plus centré sur le revenu des producteurs. Les importantes baisses des prix d’intervention pour les principaux produits agricoles ont été partiellement compensées par des aides directes aux producteurs. Une étape importante a été franchie avec la réforme de juin 2003 et des aides découplées conduisant à ce que les aides accordées aux producteurs ne soient plus liées aux productions effectivement réalisées.
Parallèlement, les mesures de protection et de régulation du marché ont été peu à peu démantelées pour se réduire à un simple filet de sécurité qui devrait permettre de protéger le marché européen en cas de crise grave sur le marché et donc de chute des prix. Les instruments existants de gestion des marchés visent avant tout à éviter des prix trop bas, pas à prévenir des flambées des prix.
On peut dire actuellement que le marché européen est directement connecté à l’évolution des prix sur le marché mondial. Or, le marché mondial est un marché résiduel qui ne porte que sur une partie très limitée de la production agricole et où les chocs des marchés liés à divers éléments tels qu’accidents climatiques, crises politiques, mouvements monétaires et spéculation sur les matières premières se font très fortement ressentir.
La hausse brutale du prix des produits agricoles connue fin 2007 est le résultat d’une conjonction exceptionnelle d’éléments : très forte hausse de la demande des pays émergents, baisse des stocks régulateurs liée à l’évolution des politiques agricoles, problèmes climatiques des grands pays exportateurs, accroissement de la spéculation, ? Cela s’est traduit pas une hausse des prix des produits agricoles dont n’ont pas beaucoup bénéficié les agriculteurs suite à la hausse concomitante des coûts de production (matières premières, énergie, intrants) et une hausse des prix de détail qui a pesé sur les consommateurs et sur l’inflation. La baisse de consommation liée à la récession économique générale a provoqué fin 2008 et 2009 un mouvement totalement inverse des prix qui ont chuté dramatiquement pour certains produits tels que le lait, menant le secteur agricole à une crise très profonde.
Tous les experts prédisent qu’à l’avenir cette forte volatilité des prix se fera ressentir tant à la hausse qu’à la baisse et y compris sur le marché européen.
A priori, les consommateurs européens n’ont pas à craindre d’être confrontés à l’avenir à une pénurie alimentaire compte tenu du potentiel de production important de l’Union européenne et du très bon niveau technique des producteurs européens. On peut cependant s’attendre à ce que la plus grande volatilité des prix agricoles se fasse ressentir également dans les prix des produits alimentaires au niveau des consommateurs. Il sera fondamental de développer des instruments pour freiner les extrêmes de volatilité, également en raison de leurs impacts sur les revenus des producteurs.
Par ailleurs, il faut insister à ce sujet sur l’importance du maintien à l’avenir d’une PAC forte visant un niveau élevé d’autonomie alimentaire de l’Union européenne, assurant le maintien de la rentabilité de son agriculture et un niveau de revenu acceptable pour ses agriculteurs. En effet, une réduction trop importante de l’activité agricole européenne suite à un manque de compétitivité économique des exploitations européennes rendrait notre approvisionnement alimentaire dépendant d’importations en provenance du marché mondial avec tous les aléas en termes de production et de prix mentionnés ci-dessus, sans compter une réponse beaucoup plus faible aux attentes des consommateurs européens en matière environnementale, sociale ou de bien-être.
C’est pourquoi les discussions attendues dans les prochains mois sur la redéfinition de la PAC après 2013 et sur les perspectives financières de l’Union européenne pour la période 2014-2020 seront déterminantes pour l’avenir de l’agriculture européenne et pour le maintien de sa capacité à nourrir les consommateurs européens, et éviter ainsi la survenance d’une crise alimentaire sur le marché européen.
Sans être exhaustif, il faut rappeler qu’il existe des dispositions relatives aux réquisitions qui avaient été adoptées par l’Etat belge au sortir de la seconde guerre mondiale. En cas de crise grave, celles-ci pourraient être activées à l’initiative du Gouvernement fédéral.
Au niveau européen, des discussions sont en cours, plus particulièrement au sein du Groupe d’experts à haut niveau sur le lait, en vue de définir des mesures permettant une meilleure transparence et un meilleur fonctionnement de la chaîne alimentaire et veillant à assurer une répartition équilibrée de la valeur ajoutée obtenue au niveau des différents maillons. Cette réflexion, qui pourra être étendue aux autres secteurs de la production, porte également sur les règles de concurrence et l’opportunité de les adapter dans le cas des produits agricoles en vue de parvenir à un meilleur équilibre entre les différents acteurs de la filière alimentaire, notamment en permettant une capacité de négociation collective pour les agriculteurs. Un juste équilibre doit être trouvé entre un bon fonctionnement du marché et une capacité de négociation égale des partenaires de la chaîne agroalimentaire. La Région wallonne participe directement à ces débats au niveau européen et défend une meilleure transmission des prix et une véritable capacité de négociation pour les producteurs.
Des observatoires des prix sont notamment mis en place dans ce but, notamment en Belgique par le Service Public Fédéral Economie. Il apparaît en effet que, si la hausse des prix agricoles est bien répercutée sur les prix à la consommation des produits alimentaires, il n’en va pas de même quand ces mêmes prix agricoles repartent à la baisse. Les consommateurs comme les producteurs agricoles sont les victimes du mauvais fonctionnement de la chaîne alimentaire. Des mesures sont donc à l’étude actuellement en vue de pallier ce type de situation.
Au stade actuel, le pouvoir fédéral, compétent en matière de contrôle des prix, n’a pas le pouvoir d’intervenir lorsque les prix augmentent sauf s’il constate une entente sur les prix entre les opérateurs.
Les prix bas des dernières années bénéficiaient aux villes mais non aux agriculteurs et paysans des pays en développement qui constituent la majorité des populations de ces pays. Les « émeutes de la faim » ont été le chef d’habitants des villes confrontés à un renchérissement de leur alimentation, jusque là bon marché.
Par ailleurs, les marchés internationaux ne pourront pas régler les excès des marchés nationaux en matière de spéculation sur les prix ou de monopole de distribution des denrées alimentaires.