La censure internationale exercée par Apple
Réponse de Madame Fadila LAANAN, Ministre de la Culture,
de l’Audiovisuel, de la Santé et de l’Egalité des chances,
à la question écrite n° 934
de Monsieur le Député Marc BOLLAND,
relative à la censure internationale exercée par Apple.
Monsieur le député,
Je partage tout à fait vos inquiétudes quant à la situation de ces grands groupes, qualifiés d’opérateurs « Over The Top » (OTT), qui à la manière de Apple, Google, Amazon, ou encore Netflix, exercent des positions quasi-monopolistiques et de fait, s’imposent à nous comme autant d’acteurs incontournables d’Internet.
Il apparaît de plus en plus que la recherche d’un modèle économique plus attractif ou du profit à court terme conduit aujourd’hui certains de ces acteurs OTT à porter atteinte au caractère ouvert et égalitaire d’Internet, à porter atteinte à sa neutralité, notamment en privilégiant tel ou tel type de communication ou certains contenus, au détriment d’autres.
S’agissant plus particulièrement de votre question, j’ai effectivement pris connaissance du fait qu’Apple a invité la plateforme française de bandes dessinées en ligne Izneo, présente sur l’AppStore, à retirer ou à adapter certains contenus, ceux-ci contenant à leur sens des images susceptibles de heurter certaines sensibilités. Cette demande concernait un certain nombre de bandes dessinées, notamment des titres scénarisés par le célèbre bédéiste belge, Jean Van Hamme.
D’après mes informations, ce n’est pas la première fois qu’Apple agit de la sorte, plusieurs auteurs américains ayant déjà eu à subir de telles mesures. Si l’on ne peut que regretter ce comportement, celui-ci ne fait que refléter la stratégie commerciale de cette société, préférant ménager la sensibilité de certains consommateurs au détriment de la distribution de certaines œuvres ou encore de l’intégrité de celles-ci.
En l’état des choses, les différentes pratiques soulevées ne semblent pas relever de la compétence de la Fédération Wallonie-Bruxelles, je peux néanmoins vous éclairer sur certains aspects juridiques relevant de compétences fédérales.
D’une part, la vente de BD en ligne consiste en un acte de commerce. Pour autant, un fournisseur de services sur Internet reste libre quant au contenu des produits qu’il vend, pour autant que les conditions générales de mise en ligne ne soient pas contraires aux lois nationales applicables. Cette faculté, relevant du principe de la liberté contractuelle ne peut se voir affecter par une quelconque obligation en matière de diffusion de la culture. Le refus de vendre un contenu particulier ne peut donc se concevoir, dans ce cas-ci, comme une atteinte à la liberté d’expression.
D’autre part, en matière de droit d’auteur, tant le fournisseur de services Internet que l’éditeur de contenus distribués par ce service restent soumis à la réglementation en vigueur et ne peuvent donc porter atteinte à l’intégrité d’une œuvre. En l’espèce, l’éditeur Izneo a répondu aux demandes d’Apple en retirant certains ouvrages ou en adaptant les passages jugés indécents, après accord des titulaires de ces droits.
Même si je comprends vos préoccupations s’agissant du pouvoir de censure des acteurs OTT, le principe de « neutralité du net » ne concerne pas à proprement parler le type de pratiques que vous incriminez, ce principe étant défini comme l’absence de gestion différenciée par les fournisseurs d’accès Internet fixe ou mobile, que cela soit en fonction de l’origine des flux d’information, de leur destination ou bien encore de leur type. En l’espèce, la volonté d’Apple de retirer les contenus litigieux semble avoir été dictée par opportunisme commercial plus que par esprit de discrimination.
Qui plus est, le concept de « neutralité du net », n’a pour le moment aucune existence législative en Belgique. Néanmoins, il a été porté à mon attention qu’une proposition de loi modifiant la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques en vue de garantir la neutralité des réseaux Internet, est actuellement à l’examen devant la Chambre des représentants. Cette proposition vise de manière plus large à garantir « l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges de données. Ce principe défend le principe d’un réseau Internet qui soit un véritable espace de liberté, permette la diversité des offres et assure la pérennité des investissements, pour son propre développement »[1].
Compte tenu de ces éléments, les possibilités de la FWB de prendre des initiatives en ce domaine s’avèrent, malheureusement, plus que restreintes, néanmoins, sachez que je reste attentive au suivi du dossier concernant la neutralité des réseaux Internet, dossier présentant un impact majeur tant sur l’ensemble du secteur audiovisuel, que sur la protection efficace de notre diversité culturelle, à laquelle je vous sais, Monsieur le député, très attaché.