Bilan de l’accord du Benelux
Session 2009-2010 15 DÉCEMBRE 2009 – Question de M. Marc Bolland à M. Rudy Demotte, ministre-président, relative au « bilan de l’accord du Benelux »
Marc Bolland – Le premier traité établissant une union économique entre les pays du Benelux a été signé en 1958 pour une durée de cinquante ans et est donc venu à échéance en 2008. Le but de cette organisation était de promouvoir la libre circulation des personnes, des marchandises et des services entre les trois pays signataires, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Cette dynamique a servi de modèle à l’élaboration d’autres institutions supranationales puisque ses principes sont désormais consacrés par l’Union européenne. En outre, le Benelux a été à la base de l’accord de Schengen de 1985 auquel pratiquement tous les États membres de l’Union ont adhéré depuis lors.
Néanmoins pour de multiples raisons, mais aussi parce qu’il venait à échéance, le traité Benelux devait être réaménagé. C’est pourquoi un nouveau traité a été signé le 17 juin 2008. Les pays du Benelux ont estimé à juste titre qu’il était temps de donner un nouveau souffle à l’alliance tout en tenant compte des nouveaux facteurs comme la sécurité et la structure fédérale de la Belgique.
En l’occurrence, la collaboration entre les trois pays se fera désormais autour de trois axes : l’union économique, le développement durable et la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. De plus, un des objectifs de l’association Benelux est de se concerter pour parler d’une voix plus forte dans les discussions européennes et internationales.
Monsieur le ministre, un an et demi après le renouvellement du traité, alors que l’Union européenne vient de nommer un nouveau président qui personnifiera les vingt-sept États membres, quel bilan pouvons-nous tirer de l’accord du Benelux ? Le Benelux a-t-il su se renouveler dans le cadre de la politique de l’Union européenne ? Pensez-vous que le travail du Benelux est toujours aussi utile qu’auparavant ?
D’autre part, je m’interroge aussi sur la place de la Fédération Wallonie-Bruxelles au sein de cette institution? Comment y est-elle représentée dans les instances ou le personnel ? Quelle est son action ?
Enfin, monsieur le ministre, vous avez souligné l’intérêt qu’il y avait pour la Wallonie et Bruxelles de développer des synergies entre les différentes institutions et partenaires, notamment dans le cadre du concept de métropolisation multipolaire. Pensez-vous que le modèle du Benelux soit « exportable » pour susciter de nouvelles initiatives avec des structures de taille similaire, des liens existant déjà sur la base de la seule proximité géographique (Grande Région, Euregio MeuseRhin, etc.) ?
M. Rudy Demotte, ministre-président. – Je dirai d’abord un mot sur le Benelux. C’est une structure fondatrice de l’Union européenne. Ce petit noyau de trois États a toujours été un point de mire pour la construction européenne. Ce qui m’a frappé dans la mise en place des premiers outils européens, indépendamment de la logique de coordination territoriale, c’est l’importance du secteur énergétique et des matières premières, comme en témoignent les traités créant la Ceca et l’Euratom. N’oublions pas que la détention et l’exploitation du charbon et de l’acier furent les deux grandes causes de la guerre. La juxtaposition des outils de cohésion territoriale – et le Benelux en est un très bel exemple – et ceux créés pour contrôler les marchés des matières premières, ont conduit l’évolution des institutions européennes.
Mais cette juxtaposition des deux visions de la mise en place de l’Union a été bousculée avec le temps. La cohésion territoriale a fait l’objet de nombreuses polémiques parce qu’elle impose une réflexion majeure sur le champ des compétences des États. Ainsi, ce n’est pas un hasard si la discussion a longtemps tourné autour de l’arbitrage entre, d’une part, une Europe qui serve au libre marché – c’était l’esprit essentiellement nordique et anglo-saxon – pour des raisons d’ailleurs parfois contradictoires et, d’autre part, une Europe qui soit un outil de mise en place de stratégies visant l’intégration progressive des politiques nationales dans un but d’efficacité.
Parmi les États favorables à une intégration européenne relativement souple, pas très fédéraliste pour dire les choses clairement, il y avait deux écoles. La Grande-Bretagne avait comme option de veiller à ce que l’Europe ne soit jamais une entrave à la libre circulation des personnes et des marchandises. Dans cette association de libre échange, qui a d’ailleurs été la première formulation de leur projet européen, on ne retrouve pas de réelle volonté d’aller au-delà de cette logique. En revanche, les pays nordiques étaient réticents à l’intégration européenne car ils craignaient que leurs modèles, notamment leur modèle social, ne soient remis en cause par la politique européenne. Ils redoutaient un nivellement par le bas. Donc, même ceux qui s’opposaient à de trop larges compétences pour l’Union européenne étaient divisés.
Le Benelux était un microcosme intéressant, un modèle qui intégrait cette vision de cohésion territoriale, cette volonté d’avancer sur des compétences de manière cohérente. À un moment donné, il y a même eu entre ses trois États un espace d’arbitrage monétaire mais dans une optique où la valeur de la monnaie n’était pas nécessairement le déterminant ultime de la mise en place des politiques macro-économiques. En d’autres termes, la stabilisation monétaire dans l’espace du Benelux n’était pas une préfiguration d’une politique monétariste comme on en a connu notamment depuis les années 80 à l’initiative des grandes écoles monétaristes.
Le Benelux, qui était au départ un modèle de référence intéressant, a perdu au fil du temps une partie de sa crédibilité pour toute une série de raisons, notamment celles portant sur les relations de puissance avec les autres États. À l’occasion du débat sur le poids relatif des petits et moyens pays dans l’Union, on a senti des divergences d’opinion entre le Luxembourg et la Belgique, d’une part, et les Pays-Bas, d’autre part. Je rappelle qu’à l’époque, un certain nombre d’incidents avaient émaillé notre vie diplomatique. S’est alors posée la question de savoir s’il fallait raviver la flamme du Benelux. C’est dans ce contexte que s’inscrit le nouveau traité.
Parmi les points essentiels à retenir, citons l’accroissement de la flexibilité et la coopération concentrée autour de nouveaux thèmes, la réduction à cinq du nombre d’institutions du Benelux : le comité des ministres, le conseil qui prépare les réunions du comité, le parlement, la cour de Justice et enfin le secrétariat général. Un programme de travail pluriannuel et un plan annuel approuvés par le Comité des ministres assurent un pilotage politique accru des trois pays.
De nouveaux objectifs portent sur la poursuite de la coopération entre les États du Benelux en tant que laboratoire pour l’Europe et l’extension de la coopération transfrontalière, nos pays étant devenus des lieux de brassage intense dans tous les domaines.
Ce programme 2009-2012 touche à une multitude de domaines comme le renforcement de la politique énergétique du Benelux, les matières vétérinaires, la sécurité alimentaire, le bien-être animal, la coopération transfrontalière, le renforcement de la politique de communication et de transport, le développement accru des outils de coopération économique, le développement durable ainsi que la mise en place de stratégies communes d’aménagement du territoire, d’environnement et de climat.
Il s’attache en outre à la protection des paysages et de la nature, à la politique de la jeunesse, la politique sociale, la justice et les affaires intérieures. Il aborde la concertation Schengen, l’application pratique des accords existants – la coopération policière entre Maastricht et Liège dans la lutte contre la drogue en est une illustration –, sans oublier les politiques de prévention, l’immigration et la question des visas, la communication ou la lutte contre la fraude fiscale. De récents dossiers nous rappellent d’ailleurs que selon que l’on soit puissant ou misérable, la justice peut s’appliquer différemment ! Le plan annuel 2010 visera un certain nombre de mesures relatives au transport routier intra-Benelux et beaucoup de secteurs touchant à la jeunesse.
Je terminerai par quelques considérations générales. Le Benelux est fondé sur des mécanismes qui prennent en compte la réalité intrabelge. Un certain nombre d’arbitrages internes préalables dicte notre méthodologie. En outre, la réforme de ce traité nous offre la faculté d’adjoindre de nouvelles dimensions comme le transfrontalier dont j’ai parlé précédemment. La Région et la Communauté interpréteront ce traité à la lumière de leur nouvel organe commun de relations internationales, le WBI. Les diverses concertations internes inhérentes à la situation institutionnelle belge ne se sont achevées qu’il y a peu. Nous pouvons à présent avancer vers la ratification du traité.
Marc Bolland – Beaucoup de matières du traité du Benelux relèvent de compétences d’entités fédérées. Comme dans toutes les institutions où nous ne sommes pas seuls, nous devons rester attentifs à la place des francophones dans le personnel et les instances dirigeantes.
La capacité de petits pays à promouvoir en commun des politiques qu’ils ne pourraient défendre seuls au niveau européen, ce que j’appelle l’« esprit Benelux », me paraît l’aspect le plus séduisant de cette organisation. À cet égard, des structures comme le Groupement européen de collectivités territoriales (GECT) dont fait partie la Grande Région, offrent de nombreuses potentialités. Constituer ce type de coopération, même en dehors de la stricte proximité géographique, dans les matières culturelles – pour rester dans un domaine qui relève de nos compétences – comme la défense des langues régionales, par exemple, est un outil auquel nous devrions rester attentifs.